Une œuvre un musée

Les passants, les promeneurs ou les touristes ont peut-être remarqué ces grands panneaux posés sur la langue de gazon qui longe les fossés de la Citadelle entre la Tour 27 et la Tour 41. La forme est étrange, faite de matériaux bruts ou presque qui renvoient à l’univers du BTP. De loin, l’Enveloppe d’Aurélien Imbert rappelle aussi ces machines de guerre qui servaient à s’approcher des enceintes, à avancer plus ou moins à couvert et à se protéger avant l’assaut. Elle évoque aussi par ses ouvertures oblongues les tours de guet, les fameuses meurtrières ou les insecticides. Les matériaux sont simples et bruts, pourtant, la passe de vernis leur donne une certaine forme de délicatesse sans doute parce qu’Aurélien Imbert travaille la fragilité avec des matériaux qui, en principe, ne le sont pas.

Lors de ses premières visites à Belfort, il a regardé les lieux, il s’est même promené et a guetté comme s’il attendait que l’endroit se révèle. Il avait le choix qui finalement s’est porté pour ce lieu vu depuis une fenêtre de tir du musée des Beaux Arts. Le pari risqué était  pris de rivaliser avec les tours altières de Vauban, la muraille, la lisière de la ville, d’exister à côté d’elles. Le calcul des proportions est le seul moyen, selon Aurélien Imbert, de lutter ; discrètement malgré le caractère volontairement inachevé de sa sculpture ; faire preuve d’attention, être vigilant aux volumes environnants mais également à l’usage de cet espace, à la différence entre la pérennité patrimoniale et la temporalité de l’art contemporain.

Au niveau des références et face à la sculpture contemporaine, Aurélien Imbert chercher plutôt à les oublier, il désire contrarier la logique ready made héritée de Marcel Duchamp, de sorte que sur ces matériaux usinés, il intervient ou il ajoute un détail ; ce liseré d’aluminium qui ceint les panneaux, ou encore lorsqu’il double les étagères métalliques de bois, elles perdent dès lors leur caractère utilitaire pour prendre une dimension d’assemblage étrange. Il a construit sa sculpture comme un radeau, qui renvoie à cette belle définition du bricolage selon Claude Levi Strauss, qui ne signifie pas utiliser des outils (ou pas seulement)  mais travailler avec les moyens du bord. De sorte qu’entre maquette, miniaturisation et jeu sur les échelles, cabane de chantier et abri de jardin, le travail d’Aurélien Imbert n’impose aucun sens afin d’offrir la meilleure protection possible à la sculpture. Ce sont les matériaux qui rendent les lieux acceptables pour celle-ci, même sans socle, même sans grande salle blanche pour la mettre en valeur, supportant le changement de lumière avec une espèce de majesté toute conceptuelle comme si sa sculpture jouait, en permanence, sur les structures et les fibres psychologiques du dialogue des formes.

Nicolas Surlapierre

Production des Musées de Belfort

photos Audace Monumentale

 



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