« La mise en perspective »

L’expérience pratique de la sculpture et du dessin.

 Sculpteur, dessinateur, scénographe, bâtisseur et artisan, Aurélien Imbert met tout en œuvre et en commun pour construire une forme et un volume. Ses outils : un bulldozer, de la colle, des feutres, du béton, du bois, une photocopieuse ou des néons…Bricoleur de fortune, il combine, polit, vernit, raboute, peint et coupe. Il adapte ses gestes à la nature du matériau et apprivoise les contingences de la matière avec autant de goût que d’envie.

Le travail au quotidien est celui du promeneur-dessinateur. Aurélien Imbert arpente les rues, croque les architectures, observe les constructions et « fait de la récupération ». « Récupérer des matériaux, c’est aller les repérer préalablement tel un botaniste à la recherche d’une plante rare, tout en observant les modes de fabrication des ouvriers qualifiés sur leur lieu de travail. Les petits trucs ou ficelles des corps de métier rencontrés sont réajustés lors de la réalisation dans mes sculptures ». Le faire, entre savoir et savoir-faire, prend la mesure de toute chose. C’est avec lui ou contre lui qu’Aurélien Imbert crée une forme. Il lui faut également compter sur l’espace et tenter de faire espace.

L’espace devient affaire de perspective. Certains dessins de la série Etudes apparaissent comme de simples esquisses au feutre bleu. A raison d’un dessin par jour, la pile de feuilles devient vite un tas en évolution. A la fois croquis et plan de montage, la représentation est-elle une coupe ou une vue de face ? Sans échelle, le rapport à l’image et la perception du volume restent volontairement flous. Une autre série est faite de papier découpé. La découpe à vif, qui détermine et implique le volume par le jeu des vides, rend d’autant plus visible la troisième dimension, que le mur lisse et vertical, est percé de punaises pour fixer le dessin. Sur d’autres feuilles de canson A4, au fusain et marqueur, un répertoire d’écrous et de constructions se constitue en un nouvel alphabet formel. Renversant la logique d’enchainement entre l’outil, l’étude et la construction, Aurélien Imbert se dote d’une base de données où l’objectif n’est pas l’architecture mais l’hypothèse d’une forme. Chaque nouvelle combinaison déjoue la standardisation tout en marquant davantage ou non les limites entre création et fabrication. La pratique de l’épuisement des possibilités sert à la fois la composition d’un corpus et la sophistication du modèle. De la pratique de la perspective et de ses aberrations naît la réflexion sur le volume et sa construction à venir. Inversement les contraintes de la troisième dimension agissent sur le futur dessin. Le va-et-vient incessant entre dessin et volume se retrouve dans cette pratique du déplacement. Quand il transfère un tas de sable d’un lieu à un autre pour le ramener finalement à sa place initiale, et qu’il photographie ces deux moments décisifs sans que l’on sache combien de temps a passé, l’enjeu de la manipulation n’est pas celui de la transformation. Tel un sablier, le bulldozer utilisé, recycle la matière pour mieux montrer le temps qui passe dans un perpétuel renouvellement.

Sections, intersections et plans, autant de délimitations géométriques qu’Aurélien Imbert s’approprie pour « redresser » ses sculptures. La mise en perspective, cette formule qui tient du langage, des mathématiques et de l’optique révèle le travail du jeune plasticien : donner à la sculpture d’autres qualités qui la placent dans les champs de l’image autant que de l’espace. Mais cet espace n’est ni fonctionnel, ni gestaltien, ni décoratif. Tout l’art d’Aurélien Imbert semble réitérer ce que Pierre Francastel avait démontré à propos de la naissance de la perspective appliquée à l’architecture : « L’architecture de la Renaissance a été peinte avant d’être construite ». De même que Brancusi n’a pas cessé de travailler sur l’image de ses sculptures et sur leurs mises en scène à travers l’exercice et la pratique de plus en plus aboutie de la photographie, Aurélien Imbert étudie et recherche les rapports chromatiques, les textures, les reflets, les tensions et équilibres. L’expérience du dessin et de la sculpture qui s’enrichissent mutuellement ne font pas oublier que même si le corps est interpellé, le travail d’Aurélien Imbert est davantage affaire de cosa mentale. Charnières, caisses d’emballage, parpaing et béton superposés, fixés, alignés, à terre ou debout…ce n’est pas tant l’anthropomorphisme qui est à chercher, ni même la perception de la forme globale, c’est plutôt la tentative de dessiner l’espace dans l’espace.

 

Barbara Forest

 

 



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